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Partir un an : les aventures dessinéssinées de Chérie et Chéri
Georges Brassens, Supplique pour être enterré à la plage de Sète
Le grand chêne
01Il vivait en dehors des chemins forestiers,
02Ce n'était nullement un arbre de métier,
03Il n'avait jamais vu l'ombre d'un bûcheron,
04Ce grand chêne fier sur son tronc.
 
05Il eût connu des jours filés d'or et de soie
06Sans ses proches voisins, les pires gens qui soient :
07Des roseaux mal pensant, pas même des bambous,
08S'amusant à le mettre à bout.
 
09Du matin jusqu'au soir ces petit rejetons,
10Tout juste cann's à pêch', à peine mirlitons,
11Lui tournant tout autour, chantaient, in extenso,
12L'histoir' du chêne et du roseau.
 
13Et, bien qu'il fût en bois, (les chênes, c'est courant),
14La fable ne le laissait pas indifférent.
15Il advint que lassé d'être en butte aux lazzi,
16Il se résolut à l'exil.
 
17À grand-peine il sortit ses grands pieds de son trou
18Et partit sans se retourner ni peu ni prou.
19Mais, moi qui l'ai connu, je sais bien qu'il souffrit
20De quitter l'ingrate patrie.
 
21À l'orée des forêts, le chêne ténébreux
22A lié connaissance avec deux amoureux.
23"Grand chêne, laisse-nous sur toi graver nos noms..."
24Le grand chêne n'a pas dit non.
 
25Quand ils eur'nt épuisé leur grand sac de baisers,
26Quand, de tant s'embrasser, leurs becs furent usés,
27Ils ouïrent alors, en retenant des pleurs,
28Le chêne contant ses malheurs.
 
29"Grand chêne, viens chez nous, tu trouveras la paix,
30Nos roseaux savent vivre et n'ont aucun toupet,
31Tu feras dans nos murs un aimable séjour,
32Arrosé quatre fois par jour."
 
33Cela dit, tous les trois se mirent en chemin,
34Chaque amoureux tenant une racine en main.
35Comme il semblait content ! Comme il semblait heureux !
36Le chêne entre ses amoureux.
 
37Au pied de leur chaumière ils le firent planter.
38Ce fut alors qu'il commença de déchanter
39Car, en fait d'arrosage, il n'eut rien que la pluie
40Des chiens levant la patt' sur lui.
 
41On a pris tous ses glands pour nourrir les cochons,
42Avec sa belle écorce on a fait des bouchons,
43Chaque fois qu'un arrêt de mort était rendu,
44C'est lui qui héritait du pendu.
 
45Puis ces mauvaises gens, vandales accomplis,
46Le coupèrent en quatre et s'en firent un lit.
47Et l'horrible mégère ayant des tas d'amants,
48Il vieillit prématurément.
 
49Un triste jour, enfin, ce couple sans aveu
50Le passa par la hache et le mit dans le feu
51Comme du bois de caisse, amère destinée !
52Il périt dans la cheminée.
 
53Le curé de chez nous, petit saint besogneux,
54Doute que sa fumée s'élève jusqu'à Dieu.
55Qu'est-c' qu'il en sait, le bougre, et qui donc lui a dit
56Qu'y a pas de chêne en paradis ?
57Qu'y a pas de chêne en paradis ?

Georges Brassens